12/04/2025 ssofidelis.substack.com  8min #274744

 La Chine impose 34% de droits de douane sur les importations américaines

Pourquoi la Chine s'abstiendra d'appeler le « barbare à la hache tarifaire »

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Par Pepe Escobar, le 12 avril 2025

La crise de colère du bambin, ou le  Trump Tariff Tizzy TTT : tempête tarifaire trumpienne, désormais portée à 145 % (et ce n'est pas fini), est une nouvelle tentative fracassante de Trump de chambouler l'échiquier.

Mais cela ne fonctionnera pas. Trump a affirmé que la Chine va l'appeler pour "conclure un accord". C'est digne d'une téléréalité. La réalité, elle, s'apparente davantage à la déclaration de la Commission des tarifs douaniers du Conseil des affaires d'État :

"Puisque les exportations américaines vers la Chine ne sont d'ores et déjà pas acceptables pour le marché au regard des taux de droits de douane actuels, et si les États-Unis imposent des droits de douane supplémentaires sur les marchandises chinoises, la Chine les ignorera, tout simplement".

Traduction : continuez à vociférer/imposer des droits de douane. Nous nous en moquons. Et nous arrêterons de vous acheter quoi que ce soit.

Le ministère des Affaires étrangères chinois : "Un barbare brandissant des droits de douane n'a aucune chance d'obtenir un appel de la Chine".

Quelques chiffres : le PIB de la Chine devrait augmenter de 5 % en 2025. Les importations américaines représentent au mieux 4 % du PIB chinois. La part de la Chine dans les exportations totales vers les États-Unis a chuté à 13,4 % en 2024.

Goldman Sachs, qui n'est pas exactement un "porte-parole" du PCC, vient de prédire que la TTT ne coûtera à la Chine que 0,5 % de son PIB en 2025, alors qu'il coûtera pas moins de 2 % du PIB américain. C'est ce qu'on appelle un retour de flamme.

Néanmoins, à partir de maintenant, ce qui compte le plus pour Pékin, c'est de continuer à diversifier la chaîne d'approvisionnement.

Dans toute l'Asie, la machine est en marche. Le président Xi Jinping entamera bientôt une mini-tournée de l'ASEAN (Vietnam, Cambodge, Malaisie). L'Organisation de coopération de Shanghai, de plus en plus axée sur la géoéconomie, est sur le point de siéger. L'UE, malgré la mauvaise foi de ses "élites", brûle d'envie de conclure des accords commerciaux avec la Chine.

Zhao Minghao, directeur adjoint du Centre d'études américaines de l'université Fudan, à Shanghai, qualifie l'incandescence actuelle de "jeu de résilience stratégique".

Auparavant, l'éminent Wang Yiwei, professeur vedette en relations internationales à l'université Renmin de Pékin et expert des nouvelles routes de la soie, a noté que le taux de droits de douane actuel rend déjà "presque impossibles" les exportations chinoises vers les États-Unis.

 Cette analyse montre comment la Chine s'est d'abord adressée avec courtoisie aux États-Unis avant de se montrer de plus en plus intransigeante, tout en cultivant l'art du timing dans son attaque asymétrique contre les actions américaines.

Une visite à point nommé de l'immense  ville commerciale internationale de Yiwu, qui abrite la plus grande concentration de petits commerçants de la planète, offre un aperçu fascinant des rouages réels du commerce chinois.

Moins de 10 % des activités exceptionnelles de Yiwu concernent les États-Unis. Parmi les 75 000 commerçants de la ville, un peu plus de 3 000 font des affaires avec les États-Unis.

Deux sinophobes face à un mirage

La TTT est en grande partie le produit de deux sinophobes arrogants/ignorants de l'équipe Trump, le conseiller économique Peter Navarro, et le secrétaire au Trésor Scott Bessent, qui ne connaissent strictement rien à la Chine.

En fait, c'est Bessent qui a tout dévoilé dès le début :

"Cette décision a été motivée par la stratégie du président... On peut même dire qu'il a placé la Chine en mauvaise posture. Elle a réagi. Ils ont montré au monde entier à quel point ils agissent mal, et nous sommes prêts à coopérer avec les alliés et partenaires commerciaux qui n'ont pas riposté".

Un piège rudimentaire. Avec la Chine comme seul objectif. Ce qui est sans rapport avec le complot initial : des droits de douane, à la mafieuse, sur la majeure partie de la planète, y compris les États-Unis. Si vous ne ripostez pas, tant mieux. Si vous le faites, nous frapperons plus fort.

Voilà le soi-disant "mirage Miran" - du nom du supposé cerveau économique de Trump, Stephen Miran. Ce qui se passe réellement, en passant outre l'idée stupide que les droits de douane seront payés par l'actuelle décote sur d'autres marchés ( voir le livre blanc de Miran ici), c'est la démolition effrénée des États-Unis en tant que centre du commerce mondial.

Lorsqu'on lui a demandé pourquoi il a suspendu les droits de douane, Trump a répondu :

"J'ai pensé que beaucoup de gens commençaient à perdre les pédales. Ils commençaient à paniquer. Ils commençaient à avoir peur".

N'importe quoi. Trump ne peut pas admettre officiellement que l'oligarchie américaine, Jamie Dimon et compagnie, ont vraiment paniqué, et que, en plus de la débâcle du marché obligataire, il a été contraint de faire marche arrière.

Au paradis néolibéral, personne ne peut se permettre de défier la déesse du marché.

Quant à la stratégie à long terme de plusieurs nations de la Majorité Mondiale prises dans l'ouragan de la guerre commerciale, sans parler des grands acteurs comme la Chine et l'UE, elles chercheront toutes à réduire leur dépendance vis-à-vis des marchés américains.

Une fois de plus, le "deal" élaboré par Trump et ses conseillers incultes se résume à une "offre" mafieuse que l'on ne peut refuser : faire exploser ou diminuer considérablement les échanges commerciaux avec la Chine, le plus grand partenaire commercial de presque tous ces pays, et commercer avec l'"Exceptionalistan", en plus des droits de douane de 10 %. Au diable votre souveraineté économique et votre flexibilité stratégique. Encore une fois : c'est à prendre ou à laisser, avec les droits de douane en plus.

La réalité, en revanche, imposera aux États-Unis d'importer de plus en plus de produits chinois en provenance de pays tiers, tandis que la Chine continuera à se faire payer pour cela. La Chine exportera davantage vers l'ANASE et d'autres acteurs de la Majorité Mondiale.

Dans l'état actuel des choses, le "plan" de Trump - si tant est qu'il en ait un - consiste à "stabiliser" ses alliés tout en concentrant toute sa puissance de feu sur la Chine, en théorie pour plonger ses chaînes d'approvisionnement complexes dans le chaos et contraindre les entreprises à délocaliser leurs sites de production, par exemple au Vietnam ou en Inde.

Une extorsion qui mène à la rupture

Le confinement de la Chine se fera au pas de charge. Attendez-vous à un tsunami de restrictions technologiques, de lignes rouges en matière d'investissement et, bien sûr, de sanctions supplémentaires. Bessent, fervent sinophobe, n'exclut pas le retrait des actions chinoises des bourses américaines : "Je pense que tout est sur la table (...) Ce sera la décision du président Trump".

Pékin, pour sa part, peut facilement passer au nucléaire, en décidant de vendre massivement ses bons du Trésor américain, avec des conséquences catastrophiques en cascade. En janvier, Pékin détenait 760 milliards de dollars de la dette américaine. Avec une savoureuse touche diplomatique, Yang Panpan et Xu Qiuyan, chercheurs à l'Académie chinoise des Sciences sociales, notent que la suite des événements concernant les bons du Trésor américain reste "des plus incertaines".

L'investisseur milliardaire de Bridgewater, Ray Dalio, a quant à lui fait preuve d'une diplomatie incisive : "Nous assistons à un effondrement classique des grands ordres monétaires, politiques et géopolitiques".

On ne peut plus parler d'"ordre mondial fondé sur la coopération" dirigé par les États-Unis (en réalité, il s'agissait de tout sauf de coopération). Dalio reconnaît au moins l'unilatéralisme manifeste de "la guerre commerciale, géopolitique, technologique et, dans certains cas, militaire menée par les États-Unis".

Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, Lin Jian, a de facto résumé la position de Pékin. Exit la politique "du gentil", jusqu'à récemment la position par défaut de la Chine : si les États-Unis insistent pour mener une guerre tarifaire et commerciale, la Chine se battra jusqu'au bout.

Nous y voilà donc. Une fois de plus, c'est l'Empire du Chaos contre les BRICS.

L'Empire du Chaos se lance dans une guerre géoéconomique acharnée contre son concurrent chinois. Il envisage une guerre militaire contre l'Iran souverain. Et en même temps, il tente d'apaiser la puissance nucléaire/hypersonique russe en concluant une sorte d'accord flou pour geler quelque peu la guerre éternelle par procuration en Ukraine.

Le nouveau triangle de Primakov, le RIC (Russie-Iran-Chine), est parfaitement conscient de ces manœuvres. Poutine a métaphoriquement caractérisé la posture russe dans la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine en rappelant que les Chinois connaissent un sage proverbe : lorsque les tigres se battent dans la vallée, le singe avisé reste assis pour observer la fin du combat.

Aujourd'hui, on a plutôt affaire à trois singes avisés, parfaitement conscients des intentions d'un pigeon se faisant passer pour un aigle.

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